Comment l’intelligence collective défie nos vieilles façons de penser
La notion d’intelligence collective n’est pas nouvelle, mais sa popularité atteint des niveaux sans précédent : réfléchir ensemble, co-construire des solutions, utiliser l’intelligence collective à des fins managériales sont des enjeux aussi actuels que fondamentaux. Mais ils requièrent un profond changement des pratiques.
L’intelligence collective : pas si nouvelle que ça
Le jour où le premier primate pré-humain a eu l’idée de faire la courte échelle à l’un de ses pairs pour attraper les fruits plus gros et plus mûrs, l’intelligence collective était née. Mais savoir les colonies de fourmis ou les meutes de loups capables d’entraide pour pérenniser leur espèce, ne nous dit rien de la façon dont nos méthodes de travail, d’enseignement et de recherche vont s’infléchir avec la diffusion de ce concept. D’ailleurs, celui-ci est resté l’apanage des spécialistes jusque dans les années 80, au moins.
Une collectivité liée à la connectivité
Si la notion est ancienne, son expansion dans le grand public coïncide avec le développement d’internet et plus généralement des technologies permettant d’échanger des idées en temps réel, sans être physiquement présents en un même lieu. La nécessité de se réunir en un endroit géographiquement situé ou d’attendre que les mots cheminent entre les cerveaux, à la vitesse d’une malle-poste ou d’un pigeon-voyageur, réduisait considérablement la mise en pratique d’une intelligence collective, à tous les niveaux de la société.
Le partage d’idées pour faire émerger des solutions ne vont pas pour autant de soi : la possibilité technique de le faire ne garantit pas que les individus en aient la nécessité ou tout simplement l’envie. Et les freins –psychologiques, sociaux, liés à des stéréotypes- ne manquent pas.
Le développement de l’intelligence collective
Jusque récemment, les neurosciences et sciences cognitives se sont concentrées sur l’étude de l’intelligence humaine au sein de l’individu : les connexions entre les neurones mobilisent de nombreux chercheurs mais essentiellement à l’intérieur d’un même cerveau, très peu se concentrent dans l’interaction avec ceux de ses congénères.
Autre fait caractéristique, la pédagogie (ou classe) inversée n’en est qu’à ses balbutiements, notamment en France, alors qu’elle serait une modalité d’exercice de l’intelligence collective, dès le plus jeune âge. Les élèves, invités à travailler ensemble une question avant d’arriver en cours, encouragés à en débattre sans que la solution leur soit donnée par avance, développeraient certainement leur capacité à penser en commun…
Bien plus sûrement, qu’en faisant des exposés à trois, sur des sujets imposés et balisés, comme c’est encore trop souvent le cas. Et cet entraînement précoce ne bénéficierait bien sûr pas uniquement aux élèves qui se destinent aux métiers du numérique, mais à tous les futurs citoyens.
Une collectivité irrégulière
Paradoxalement, les humains du 21e siècle font usage de leur intelligence collective de façon sporadique, désordonnée parfois, mais extrêmement extensive aux seins de mouvements sociaux (de contestation politique, par exemple), alors même que la définition de cette notion reste incertaine et sa codification dans les milieux professionnels fluctuante.
La presse recommande aux managers d’« utiliser » l’intelligence collective de leurs collaborateurs, tout en précisant que pour ce faire, il faut les impliquer dans le processus d’élaboration des projets. Sans compter les archaïsmes qui émaillent encore certaines organisations : culture du secret, travail en équipes fermées, autant de modes de fonctionnement qui limitent voire interdisent l’émergence d’une intelligence partagée.
Ces constats liminaires ne doivent pas amener à la conclusion que seuls quelques cerveaux en avance sur leur temps sont capables d’accéder à cette petite révolution de la pensée. Le mouvement est en marche et, tout comme le jaillissement d’une réflexivité construite dans l’interaction entre plusieurs cerveaux, il se développera spontanément mais sûrement.