Le papier d’Arménie : une histoire qui sent bon !
Avec son nom délicieusement mystérieux, le papier d’Arménie convoque des origines exotiques. Son parfum boisé semble venir de lointains et formidables marchés, ramené par un Indiana Jones pour faire frétiller nos narines. Pourtant, ce célèbre papier à l’odeur entêtante ne vient pas de la terre de Charles Aznavour, mais bien d’une petite usine cachée dans le sud de Paris, à Montrouge.
Papier de riz, ou d’Arménie ?
Vous souvenez-vous des paroles de la chanson de Régine, « Les p’tits papiers » ?
« Laisser brûler les P’tits Papiers
Papier de riz ou d’Arménie
Qu’un soir ils puissent, papier maïs
Vous réchauffer ! »
Ces paroles écrites par Serge Gainsbourg nous disent tout ce qu’il faut savoir sur la façon d’utiliser le papier d’Arménie : en le brûlant, pardi ! Ce petit papier à l’odeur si agréable est parfumé à la résine de benjoin, sécrétée par l’aliboufier du Laos, et généralement présenté sous la forme d’un carnet composé de plusieurs lamelles prédécoupées qu’il suffit de déchirer.
Le papier d’Arménie s’utilise traditionnellement à la manière d’un bâton d’encens : on détache une lamelle, on la plie en accordéon, on la place dans un support qui résiste à la chaleur, et on la fait brûler. Le papier d’Arménie reste incandescent, sans s’enflammer, et dégage une odeur de benjoin mélangé à de la vanille.
On en trouve surtout dans les magasins de produits naturels (type Nature & Découvertes), dans les boutiques bio (à côté des biscuits bio) ou, en ligne, notamment sur le site officiel du fabricant.
Les bonnes odeurs du papier d’Arménie
Le papier d’Arménie a la réputation de purifier et d’assainir l’air : la légende veut qu’un morceau de viande placé sous une cloche où a préalablement brûlé une lamelle ne se décompose toujours pas au bout d’une semaine.
Le papier d’Arménie est utilisé pour diverses occasions :
- Comme parfum d’intérieur
- Pour couvrir les odeurs fortes : cuisine, cigarette, animaux
- Comme antimites
- Il est également possible de ne pas le consumer, et de le placer par exemple entre les pages d’un livre pour qu’il diffuse son agréable parfum
Mais derrière ces usages pragmatiques, d’autres traditions se font jour, plus insolites. Ainsi, certaines sources attribuent au benjoin des forces purifiantes qui auraient le pouvoir d’éliminer, outre les mauvaises odeurs, les pensées et émotions impures ou grossières ! Il n’y a plus qu’à faire le test autour d’un papier d’Arménie consumé en racontant des blagues de Jean-Marie Bigard.
Comment la France a été mise au parfum
On doit la découverte et la fabrication du papier d’Arménie à un chimiste français de la fin du XIXe siècle. C’est à l’occasion d’un voyage en Arménie qu’Auguste Ponsot observe cette habitude qu’ont les habitants de faire brûler du benjoin dans le but de parfumer et désinfecter leurs maisons.
Avec un ami pharmacien, Henri Rivier, Ponsot en adapte la pratique dès son retour en France. Ensemble, ils trouvent un moyen pour produire du papier enduit de benjoin qui se consume sans flamme. Voici leur méthode chimique :
- d’un côté, ils font macérer le benjoin dans de l’éthanol ;
- de l’autre, ils trempent des feuilles de papier buvard dans de l’eau salée, qui retarde la combustion ;
- enfin, les feuilles sont séchées, enduites de benjoin et placées en étuve.
Ca, c’est pour la théorie : la composition exacte dans laquelle le papier buvard est plongé reste toutefois secrète, et jalousement gardée.
Le papier d’Arménie rencontre très vite un grand succès, dès sa présentation à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889. Et puisqu’on ne change pas une formule qui marche, la méthode de préparation est restée inchangée depuis 1885, et toujours appliquée à Montrouge, au sud de Paris, où se trouve l’usine familiale créée par Auguste Ponsot (lire ce bel article pour plus de détails).
Précautions d’usage
Attention, toutefois : à l’instar de l’encens, le papier d’Arménie peut s’avérer nocif quand il est utilisé à hautes doses ou si la pièce dans laquelle vous le faites brûler est dépourvue d’aération. En raison de la combustion incomplète du papier, des résidus du benjoin et du monoxyde de carbone s’en dégagent. C’est pourquoi il peut avoir des effets désagréables pour :
- Les migraineux
- Les asthmatiques
- Les personnes qui souffrent d’allergies
- Les personnes qui souffrent de troubles respiratoires
Testé, dans une étude publiée par le magazine Que Choisir il y a quelques années, avec d’autres désodorisants d’intérieur, le papier d’Arménie a présenté, de tous, le plus faible taux de benzène et de formaldéhyde. En somme, s’il est utilisé modérément, il ne cause aucun risque pour la santé. Il n’y a donc plus aucun excuse pour ne pas faire brûler les p’tits papiers !